De la nécessité du droit au suicide indolore pour vivre librement, sereinement et dignement



L’objectif de cette micro-conférence est de montrer en quoi le droit inconditionnel au suicide indolore pour toute personne majeure que défend l’association Ultime Liberté est une condition nécessaire pour être existentiellement libre, être serein face à notre condition d’êtres mortels, et être traité comme un être humain digne, être “majeur” au sens philosophique du terme, c’est à dire ne pas être considéré comme une chose, comme une propriété d’autrui ou comme un “mineur” à garder sous tutelle mais disposer de sa vie. 


I - Le droit au suicide indolore est le garant de notre liberté existentielle : sans ce droit, nous sommes séquestrés dans l’existence.

A. La liberté existentielle, c’est le pouvoir de sortir facilement et paisiblement de l’existence quand on veut. 

*(Je prends le mot “existence” au sens courant et matériel du terme : existence est ici un synonyme de “vie”, c’est l’ensemble du réel auquel on est confronté). La liberté existentielle est la liberté la plus fondamentale de toutes, car sans elle, toutes les autres libertés n’existent que sur fond d’enfermement. (Sans cette liberté, sortir de la vie est extrêmement difficile et douloureux, donc nous sommes retenus prisonniers dans la vie - nous n’avons pas véritablement le choix entre “être et ne pas être” car l’une des deux options du choix s’achète par d’horribles souffrances).

*Faire de la spéléologie par décision personnelle suppose qu’on n’est pas enfermé dans la grotte qu’on explore (ce qui serait très angoissant et rendrait vite claustrophobe) ; parallèlement, vivre par décision personnelle suppose de pouvoir sortir de la vie (dans le cas contraire nous sommes séquestrés dans la vie). Certes, comme l’écrit Cioran, la possibilité du suicide nous permet de ne pas être “coincés ici-bas”. Mais ajoutons ici que sans la possibilité d’un suicide FACILE et INDOLORE, la vie reste une prison, car l’évasion en reste difficile, douloureuse et incertaine. 

*Quand je suis existentiellement libre, j’existe par décision personnelle : c’est librement que je fais usage de mes diverses libertés à l’intérieur de l’existence, car je pourrais utiliser ma liberté existentielle pour prendre congé dignement de l’existence. Être libre suppose une pluralité de choix, je ne suis donc libre d’exister que si je suis également libre de ne plus exister (sans que cette deuxième option se paye par de la douleur). 

*Ainsi, quand je ne peux pas sortir facilement et paisiblement de l’existence quand je veux, je suis enfermé dans l’existence (car je dois “forcer la porte” pour m’enfuir). (En effet, quand on ne peut pas sortir d’un lieu sans souffrir, sans “forcer la sortie”, alors l’on peut considérer qu’on est enfermé dans ce lieu ; il en va de même avec la vie.) Sans liberté existentielle, les autres libertés ne sont que des libertés de prisonnier, des libertés s’exerçant entre des murs de l’existence. Je ne peux pas savoir si je vis véritablement par décision personnelle ou seulement par peur de mourir ;  plus encore, je ne peux pas véritablement “décider de vivre” car décider de faire quelque chose suppose de pouvoir aussi sans pression décider de ne pas le faire. Pour aimer véritablement une personne ou une chose, il faut la choisir librement, de son plein gré (et non être contraint de la choisir) : l’amour véritable de la vie suppose donc un droit au suicide indolore, ce que montre bien François Galichet dans son ouvrage Qu’est-ce qu’une vie accomplie
Qu'il s'agisse d'une prison, d'une secte, d'une mafia ou d'une relation amoureuse avec une personne toxique, les milieux qu'on ne peut pas quitter sans représailles ne sont jamais sains. Parallèlement, la vie est une prison si l'on ne peut pas en sortir aisément quand on veut. Pour être  authentiquement heureux, il faut être authentiquement libre. 

B. Contre une perversion de l’idée de “libre-arbitre”, il convient de montrer qu’être libre au sens du libre-arbitre (le fait de faire des choix) n’implique pas d’être existentiellement libre. 

*Le libre-arbitre, c’est un synonyme “d’existence” au sens philosophique du terme : le fait de faire des choix à chaque instant, d’être une “liberté en acte” (et non une chose). Le libre-arbitre, c’est la liberté que je suis, non la liberté que j’ai. Ainsi, le libre-arbitre n’exclut pas la contrainte. Par exemple, un esclave est toujours libre, au sens du libre-arbitre, de désobéir à son maître (“il a toujours le choix”), mais il n’en reste pas moins qu’il est contraint d’obéir à son maître (car en désobéissant il s’expose à des sanctions). 

*Parallèlement, sans moyens de suicide indolore à notre disposition, nous sommes certes toujours “libres”, au sens du libre-arbitre, de nous suicider (nous pouvons nous tailler les veines, nous défenestrer, nous immoler, etc), mais il n’en reste pas moins que nous sommes contraints à vivre, enfermés dans la vie (car en nous suicidant nous nous exposons à des douleurs extrêmes et à des risques d’échec). Faire quelque chose par peur des conséquences si on ne le fait pas, c’est le faire par contrainte. Vivre par peur de mourir, c’est donc vivre par contrainte. 

*Il convient donc de bien distinguer le libre-arbitre (le fait de faire le choix), de la liberté existentielle (le fait de ne pas être contraint à vivre, de pouvoir quitter facilement et paisiblement l’existence quand on veut). Dire qu’on est toujours libre de se suicider ne suffit pas pour régler le problème éthique de l’enfermement existentiel et du suicide. Être libre de se suicider n’empêche pas d’être enfermé dans la vie et tous ceux qui se suicident mériteraient une mort paisible conforme à leur dignité d’être humain. 

C. Par conséquent, sans liberté existentielle, procréer revient à faire subir un “viol existentiel” à un nouvel être, autrement dit, à contraindre quelqu’un à vivre. 

*L’on dit souvent “naïvement” que “la vie est un cadeau”. Or, le principe d’un cadeau, c’est de pouvoir être refusé. Être “jeté au monde” sans pouvoir ensuite quitter la vie quand on veut sans violences, c’est donc se faire imposer la vie. Tant qu’un droit au suicide indolore ne sera pas instauré et socialement organisé, “procréer” sera synonyme de “condamner à vivre”. Or, étant donné que nous n’avons pas choisi de naître, la moindre des choses - si l’on veut respecter notre liberté - serait qu’on ne nous contraigne pas à vivre mais qu’on nous demande notre avis et qu’on nous laisse le choix entre “être ou ne pas être” (sans que le choix de “ne pas être” doive se payer par de la douleur et de la culpabilisation). Sans moyens de trépas paisible, au vu de l’extrême difficulté du suicide, je ne peux pas effectuer cet acte “à froid”, de manière calme, posée et rationnelle, mais je suis contraint de basculer dans la folie (c’est pourquoi Voltaire disait “c’est rarement dans un accès de raison que l’on se tue”). 

*Insistons ici sur le fait qu’on n’a véritablement le choix entre deux options que lorsqu’aucune des deux options ne s’achète par de la souffrance. Si j’ai le choix entre une option A et une option B, mais que l’option B est extrêmement douloureuse, alors je peux considérer que je suis contraint à l’option A. Ainsi, tant que le suicide ne sera pas rendu facile et paisible, je pourrai considérer que je suis contraint à vivre. Comme je l’ai écrit dans mon Manifeste pour un droit au suicide indolore, “la différence entre “vivre par décision personnelle” et “vivre par contrainte” est la même que celle entre une relation sexuelle consentie et un viol : de gré dans le premier cas, de force dans le second.” 

*Et comme l’écrivent magnifiquement Roland Jaccard et Michel Thévoz dans leur Manifeste pour une mort douce : “Vivre ne doit pas obéir à un devoir, mais à une envie. Nous n'avons pas demandé à naître, et nous ne devons consentir à la vie qu'en vertu d'un contrat renouvelable de jour en jour et résiliable dans la même échéance. À pouvoir prendre congé sans pathos ni douleur, nous envisagerons l'existence avec plus de désinvolture et plus d'humour." 
A défaut d'être nés avec notre consentement, refusons de vivre sans notre consentement. 


II - Le droit au suicide indolore est la condition d’une lucidité heureuse face à notre condition de mortel.

A. Seule la possibilité du suicide indolore permet de ne pas être exposé à l’horreur à tout instant et d’être ainsi rassuré sans mensonge malgré notre condition de mortel.

*Être en vie, qu’on le veuille ou non, c’est être menacé par le malheur à tout instant (maladie, pauvreté, accidents, etc). Que je sois âgé de 20 ans ou de 100 ans, il est toujours possible que demain, je sois la proie d’un cancer incurable qui me provoque d’atroces souffrances. Comme l’écrit le philosophe Heidegger, “dès qu’un humain vient à la vie, il est assez vieux pour mourir.” Quand on a conscience de cela, à moins d’oublier la condition humaine (ce que le philosophe Blaise Pascal appelle “se divertir”), l’on ne peut pas être véritablement serein sans avoir les moyens matériels de fuir le malheur au cas où celui-ci s’impose à nous. 

*Or, sans méthodes de trépas paisible à notre disposition, l’on ne peut fuir le malheur que par un autre malheur, car le suicide reste une option extrêmemement difficile, douloureuse et à l’issue incertaine… Sans droit au suicide indolore, l’on risque donc à tout instant de basculer dans une prison de douleur (cancer incurable, pauvreté extrême, etc) dont on ne peut pas sortir sans s’infliger d’autres douleurs. 

*Ce que nous appelons ici l’horreur, ce n’est pas seulement le malheur, mais surtout le fait d’être enchaîné au malheur, le fait de ne pas pouvoir fuir facilement et paisiblement le malheur s’il se présente. Or, à moins de pratiquer toute sa vie ce qu’on appelle trivialement la “politique de l’autruche”, comment être heureux en sachant que l’on est exposé à l’horreur à tout instant ? 
Le droit au suicide indolore n’aide pas seulement à mieux mourir, mais aussi à mieux vivre, en nous permettant de concilier bonheur et lucidité face à la condition humaine. Ce droit nous rassure, nous permet de jouir de la conscience de notre liberté et nous débarrasse du sentiment humiliant que l’on s’approprie notre vie. 

*Comme je l’écris dans mon Manifeste, “nous sommes tous des soldats en mission sur une Terre hostile, exposés à la capture des maladies, des accidents, des dangers naturels et de la perversité humaine, donc nous devons disposer de notre pilule-suicide au cas où nous nous fassions capturer par un excès de souffrance afin d’être toujours en mesure d’échapper à un réel atroce et inhumain.” Et comme l’écrivent Jaccard et Thévoz : “la raison nous commande de nous tenir prêts à quitter les lieux sans regrets, sans remords et sans masochisme excessif, dès lors que la somme des souffrances l'emportera sur celle des plaisirs.” 

B. À moins d’oublier où l’on va, une randonnée ne peut pas être sereine si sa destination est sinistre : de même, à moins d’oublier sa condition de mortel, seule l’organisation d’un trépas doux permet à la “randonnée de l’existence” d’être sereine en rendant le bout du chemin paisible.

*Si nous marchons dans les bois et que nous savons que notre maison confortable nous attend à la fin de notre marche, c’est une expérience plaisante. Mais si, à l’inverse, nous savons que nous devrons affronter des chiens méchants à la sortie du bois, nous ne prenons pas de plaisir à marcher et nous avançons dans la peur. 

*Or, sans une mort sereine non seulement autorisée mais aussi prévue/anticipée par nos moyens techniques, vivre - sur le plan temporel - revient à marcher vers une fin sinistre (c’est à dire vers un trépas anarchique, possiblement long et probablement douloureux, qui s’imposera à nous et face auquel l’on sera aussi démuni qu’un homme des cavernes). Même en comptant sur la chance de vivre longtemps, de ne jamais connaître l’horreur et de mourir sans souffrir, le fait de s’acheminer vers une vieillesse sur laquelle l’on n’aura aucune prise est une réalité sinistre si on la considère avec lucidité. De manière générale, des réalités comme la vieillesse et la douleur physique ou mentale ne sont tolérables que si nous ne sommes pas enchaînés à elles (dans le cas contraire ce sont des prisons). 

*À l’inverse, avec un trépas serein autorisé et anticipé, vivre revient à marcher vers une conclusion paisible (en dépit des imprévus toujours possibles mais peu probables). Savoir que l’on aura probablement toujours une prise sur les événements extérieurs (qu’on aura probablement toujours, quoi qu’il arrive, le pouvoir de fuir facilement, de “dire non” au réel quand celui-ci sera intolérable), donne un goût de liberté et de sérénité à la randonnée de l’existence. C’est seulement avec un droit au suicide indolore socialement organisé que l’Homme lucide peut ne plus penser à la mort et profiter pleinement de la vie, car alors il sait qu’il aura ce qu’il faut pour bien mourir le moment venu (c’est à dire quand il le décidera).

C. Seul le droit au suicide indolore permet d’être à la fois serein, philosophiquement lucide et honnête avec la société. 

*Comme nous le savons, la mort, dans nos sociétés, est un sujet tabou : l’on en parle pas, l’on vit comme si l’on était immortel et l’on meurt souvent “en cachette”, à l’hôpital, dans la culpabilité et le délaissement. C’est comme si la “force de travail” qu’est l’homme n’avait pas le droit de ne plus être dynamique et productive, comme si le mourant devait avoir honte d’être malheureux, d’abandonner ses proches et de déserter son devoir social. 

*Par conséquent, l’Homme lucide qui pense à sa mort devra, en société, soit “jouer la comédie” et mentir sur ce qu’il pense et ressent, soit s’exprimer avec vérité et sincérité sur la mort et conséquemment entrer en conflit avec les autres (qui ne veulent surtout pas en parler), s’exclure du groupe et être ainsi en proie à un isolement forcé. Le droit au suicide indolore a donc aussi un enjeu relationnel ! Dans cette société, l’Homme lucide n’a le choix qu’entre une existence fausse et l’isolement, ce qui donne raison à l’écrivain Céline qui disait : “il faut choisir : mentir ou mourir.” De même, les substances permettant un trépas paisible étant interdites par la loi, l’Homme lucide souhaitant anticiper sa mort, autrement dit “régler ses comptes avec la mort”, devra faire le choix de l’illégalité.

*À l’inverse, quand la mort n’est plus un sujet tabou et qu’un trépas paisible est permis par la société, l’Homme lucide et le mourant peuvent être dans un rapport vrai et apaisé avec les autres sans se faire stigmatiser et exclure du groupe et surtout sans devoir choisir l’illégalité (avec les risques que cela comporte) pour se préparer une mort digne. 
De nombreux philosophes, de Sénèque à André Comte-Sponville en passant par Montaigne et Schopenhauer, ont montré la légitimité éthique du droit au suicide indolore et l’absurdité morale de toute société qui nous maintient en vie par contrainte en prétendant que “vivre est un devoir”. Mentionnons ici la Lettre 76 des Lettres persanes de Montesquieu et l’Essai sur le suicide de David Hume. 


III - Le droit au suicide indolore est intrinsèque au statut d’être humain digne et majeur : disposer de sa vie, disposer de son corps, c’est ne pas être traité comme une propriété d’autrui ou comme un mineur à encadrer.

A. Seul le droit au suicide indolore nous permet de vivre une vie conforme à notre dignité d’être humain, de n’être ni chosifiés ni infantilisés. 

*Affirmer que l’être humain est intrinsèquement digne, c’est affirmer qu’il n’est pas un objet et qu’il mérite d’être respecté précisément parce qu’il est un être humain. Contrairement aux objets, il ne doit pas être traité comme une propriété d’autrui, de la société ou de l’État : il doit donc disposer de son corps, disposer de sa vie, ce qui commence par le droit de choisir entre conserver ou non sa vie. 
Il doit être considéré comme “majeur” au sens que les philosophes des Lumières donnaient à ce mot : capable de penser et de décider par lui-même sans que des tuteurs “pensent et décident pour lui à sa place”. Pour que la majorité juridique ne soit pas une notion creuse, il faut aussi qu’elle soit une majorité au sens des Lumières, autrement dit qu’elle s’accompagne du droit à disposer de son corps, à disposer de sa vie. 

*Toute démonstration repose sur des “postulats” (c’est à dire sur des présupposés, des affirmations non-démontrées et non-démontrables qui sont en vérité des désirs). Notre postulat, notre désir premier et fondamental sur lequel reposent toutes nos démonstrations, c’est l’affirmation que l’être humain ne doit pas être traité comme une chose (ou comme un mineur, ce qui revient fondamentalement au même, car dans les deux cas, l’on s’approprie sa vie). Nous affirmons, avec Jaccard et Thévoz, que “sans son goût de liberté, la vie est pire que la mort.” Nous désirons vivre par décision personnelle et non parce que des “tuteurs” nous y contraignent. 

*Considérer le suicide comme “lâche/coupable”, c’est faire de la vie un devoir, donc c’est supposer que notre vie ne nous appartient pas (et que nous devons donc vivre pour autre chose que nous même : le travail, la famille, la patrie, etc). À l’inverse, si l’on considère que notre vie n’appartient à personne d’autre qu’à nous-mêmes, alors le suicide n’a plus rien de condamnable. 
D’après l’ARTICLE 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, la LIBERTÉ consiste à POUVOIR FAIRE TOUT CE QUI NE NUIT PAS À AUTRUI. Si nous considérons que nous ne sommes la propriété de personne et qu’ainsi nous ne “volons personne” en nous suicidant, alors le droit de disposer de sa vie s’inscrit pleinement dans cet article.

*Tous les arguments populaires “Anti-Choix” (qui prônent la “confiscation” 
des moyens de suicide indolore pour notre “sécurité”) reposent sur le postulat anti-humaniste selon lequel il est préférable de traiter l’être humain comme un mineur à déposséder de sa vie pour “le protéger de lui-même”, de sacrifier sa liberté existentielle sur l’autel de sa survie... Montrons désormais qu’en plus d’être anti-humaniste, cette idéologie est hypocrite. 

B. La prétendue bienveillance anti-suicide n’est qu’une domination déguisée : c’est ce que montre bien la contradiction entre le libéralisme économique (qui laisse l’être humain dans la misère) et le paternalisme politique (qui empêche l’être humain de disposer de sa vie).

*En effet, si la raison pour laquelle l’État interdit les moyens de suicide sans douleur était l’amour de l’être humain, alors il ne tolèrerait pas non plus que des êtres humains vivent dans des conditions matérielles et sociales misérables. Or, les solutions ne manqueraient pas pour “humaniser” l’existence (notamment en redistribuant davantage les revenus). 

*La contradiction perverse de l’État est la suivante : quand nous sollicitons l’aumône d’une vie digne (par exemple des aides sociales pour échapper à un monde du travail inhumain qui nous fait souffrir le martyre et auquel nous ne parvenons pas à nous adapter), il refuse notre requête sous prétexte de nous traiter comme des êtres majeurs qui doivent s’en sortir par eux-mêmes ; mais quand nous sollicitons l’aumône d’une mort digne, il nous traite alors comme des mineurs à protéger de leurs propres désirs suicidaires. 

*Ne serait-il pas moins hypocrite et plus humaniste de faire l'inverse : être économiquement interventionniste (redistribuer les richesses, secourir les plus faibles et oeuvrer pour une société plus inclusive, ce qui ne reviendrait pas à nous traiter comme des mineurs mais à nous accorder le droit à la faiblesse et à la singularité), économiquement interventionniste, donc, et politiquement libéral (respecter les droits de l'Homme dont le droit fondamental de disposer de sa vie) ? 

*En vérité, l’État (complice des puissants) rend le suicide difficile par enjeu de pouvoir : il s’agit tout simplement de s’approprier notre vie. Contre l’Ultime Liberté que nous défendons ici, le pouvoir veut garder “l’Ultime Contrôle” sur nos vies. Les raisons économiques sont évidentes (profits de la main d’oeuvre pour les entreprises, profit de la vieillesse pour les Ehpads, etc). Mais au-delà, il y a aussi peut-être un simple “rapport de force” primitif, comme entre les loups alpha, bêta et omega ; il y a peut-être un simple instinct de commander, instinct contrarié si les vivants que l’on veut commander se mettent à disposer de leur vie. Le pouvoir n’a jamais aimé les “déserteurs”. De même, comme l’avaient bien compris les religions, la peur de la mort est un bon outil de soumission ; empêcher à la mort d’être paisible permet de maintenir cette peur. 

*Comme l’écrivait Benjamin Constant, “le suicide est un moyen d’indépendance et à cet égard tous les pouvoirs le haïssent.” Ce n’est pas seulement l’acte effectif du suicide, mais aussi sa possibilité qui est un moyen d’indépendance, en nous rendant plus sereins et plus audacieux (car quand on n’a plus peur de mourir l’on n’ose davantage désobéir et “vivre sa vie”). 

*Enfin, interdire les moyens de suicide indolore et se prétendre “pour la vie” permet peut-être aux puissants de ne pas reconnaître qu’ils sont responsables du suicide d’un grand nombre de miséreux. L’idéologie anti-suicide est peut-être un moyen pour la classe exploitante de se donner bonne conscience et de nier qu’elle est la cause directe de la détresse de la classe exploitée. Peut-être qu’ils se qualifient de “Pro-Vie” pour nier qu’en s’accaparant les richesses ils sont en réalité “Pro-Mort”. Mais comme nous allons le voir pour terminer, se battre contre le suicide, c’est se tromper d’ennemi. 

C. Ne luttons pas contre le suicide mais contre les conditions qui le provoquent : objectivement parlant, le suicide n’est qu’un thermomètre de la condition humaine ; agir dans le sens de la vie, ce n’est donc pas s’en prendre au thermomètre mais rendre la condition humaine moins glaciale. (C’est à Jaccard et Thévoz que j’emprunte l’idée de cette métaphore). 

*Le suicide est un thermomètre de la condition humaine car d’un point de vue “objectif” (toutes considérations sentimentales mises de côté), il ne fait qu’indiquer que l’être humain souffre, que sa vie ne lui convient pas. Tout être humain qui se suicide se dit “plutôt la mort que ma vie”. Le suicide n’est pas un problème mais une solution désespérée à un problème. Si l’on désire, par humanisme, que l’être humain ne se suicide pas, la seule “bonne action” qui est à notre portée est d’améliorer sa condition. Mais empêcher l’être humain de disposer de sa vie et le séquestrer dans une vie horrible, c’est anti-humaniste. Entre une vie horrible et le suicide, il vaut toujours mieux le suicide. Ce qui est horrible, ce n’est pas la mort (les morts ne souffrent plus), mais la misère matérielle, sociale ou mentale qui empêche de vivre. Nous pouvons donc rétorquer aux pseudo-Pro-Vie : “aidez-nous à mieux vivre ou laissez-nous mourir paisiblement, mais ne nous empêchez pas de nous enfuir tout en nous laissant dans la misère car cela est contradictoire et pervers.”

*S’il fait froid, casser le thermomètre n’augmentera pas la température. De même, si la condition matérielle et sociale de beaucoup d’humains est misérable, ce n’est pas en empêchant le suicide indolore que l’on va lutter contre la misère. Au contraire, cela l’augmente, car en plus d’être dans la misère, l’on ne dispose pas de notre vie (ce qui est une misère supplémentaire). En plus de vivre dans la douleur, l’on doit mourir dans la douleur. En plus de vivre le malheur, l’on est enchaîné à ce malheur, ce que l’on peut à juste titre appeler “l’horreur”. 
Être économiquement libéral (laisser l’humain dans la misère) et politiquement paternaliste (empêcher l’humain de se suicider sans douleur) revient donc à empêcher l’humain à la fois de vivre et de mourir. 

*Jaccard et Thévoz résument admirablement ce point : “Ce n'est pas le suicide en lui-même qui est pathétique, ce seront le cas échéant les impasses sociales ou existentielles qui l'auront déterminé (ou influencé). S'en prendre au suicide comme tel revient à secouer le thermomètre quand la température ne nous convient pas. Ceux qui s'obstinent à empêcher les gens de mourir sont généralement ceux-là même qui les ont empêchés de vivre. Ce n'est pas le suicide qu'il faut empêcher, c'est l'empêchement.” 

*À l’inverse, dans une société à la fois interventionniste/inclusive et respectueuse des droits de l’Homme, on aide l’être humain à bien vivre s’il veut vivre tout en lui permettant de mourir en douceur s’il veut mourir. Une société véritablement humaniste, digne du nom de “civilisation”, ne serait donc ni Pro-Vie ni Pro-Mort, mais Pro-Choix (sachant en plus que les Pro-Vie sont en réalité Pro-Mort car le liberticisme nuit au déploiement de la Vie). Comme l'écrit le physicien Bernard Diu, il faudrait un droit à "l'IVV", à "l'Interruption Volontaire de vie", "il faudrait le simple droit de s'en aller". 


Conclusion...

Ainsi, le droit inconditionnel au suicide indolore pour toute personne majeure, que l’on peut nommer “liberté existentielle”, est une condition nécessaire pour assumer à la fois lucidement et sereinement notre condition mortelle, et pour vivre véritablement par choix, c’est à dire pour vivre une vie conforme à notre dignité d’être humain.
Si l’on ne peut pas sortir facilement et paisiblement de la vie quand on veut, c’est une prison ! Militons pour un droit inconditionnel au suicide indolore pour toutes personnes majeures ! Devenons libres ! 


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