PHILOSOPHIE - L'INTÉGRALE du PROGRAMME du BAC (Édition Finale)


                        
                       LA PHILOSOPHIE

« Philosophie » vient du grec « philia » qui désigne « l’amour » ou « l’amitié », et « sophia » qui veut dire « sagesse ». La philosophie signifie donc étymologiquement l’amour de la sagesse. La sagesse désigne à la fois le savoir et l’art de vivre. La philosophie est donc un savoir sur l’Homme et le monde et un art de bien vivre (ce dernier étant souvent déductible du savoir). Cependant, les philosophes se contredisent entre eux : ils ne partagent pas tous les mêmes thèses. En effet, ils ne proposent pas tous le même savoir et le même art de vivre.

La philosophie comporte différents domaines (qui peuvent se recouper) : La métaphysique, qui est une interrogation sur le pourquoi de l’être : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » comme le demandait Leibniz. L’anthropologie, qui est une interrogation sur l’Homme. (Par exemple : qu’est-ce que l’Homme ? Est-il libre ? Etc.). L’épistémologie, qui est une interrogation sur les sciences. La philosophie politique, qui se demande « ce qu’est une bonne société ». La philosophie morale, qui se demande « ce qu’est le Bien », etc.

La spécificité de la philosophie est la suivante : elle interroge ses objets d’étude au lieu de s’en tenir à les décortiquer. Par exemple, elle se demande ce qu’est la Nature et l’Histoire au lieu de se contenter d’étudier les phénomènes naturels et historiques. L’étonnement philosophique consiste à se demander « pourquoi ? » - et non « comment ? ». (Non pas « Comment le réel fonctionne ? », mais « Pourquoi le réel est ? »). La philosophie est ainsi une interrogation sur les essences ou « définitions » - ainsi que sur les valeurs et les raisons d’être (de l’Homme et des choses). Pour philosopher avec rigueur, il est primordial, avant de se poser des questions trop spécifiques, de toujours expliquer précisément ce qu’on entend par les mots qu’on emploie.


LA CONSCIENCE

Être conscient, ce n’est pas simplement vivre, être en éveil, mais aussi savoir qu’on vit et qu’il y a un monde, c’est-à-dire exister. Être conscient d’être conscient, ce qui permet la réflexivité (l’examen de soi). La réflexivité, comme la réflexion dans un miroir, crée un dédoublement entre le moi qui examine (le moi sujet) et le moi examiné (le moi objet). L’introspection permet ainsi au moi-sujet de SE DISTANCIER du moi-objet. Être conscient, c’est être dans un rapport de connaissance aux choses (et pas seulement dans un rapport instinctif comme l’animal). En effet, « conscience » signifie étymologiquement « avec savoir » (« cum scientia » en latin). « Je pense donc je suis » (Descartes, Discours de la Méthode). En effet, pour penser, il faut être. Même si je me trompe sur tout, le fait que je me trompe suppose que je suis (Descartes, Méditations métaphysiques). Seule la conscience me définit et me confère ma dignité d’être humain car elle est la seule chose que l’on ne peut pas m’ôter sans supprimer mon être. Ensuite, c’est parce que je pense que je suis et qu’il y a un monde. La réalité du monde suppose mon existence. « Je suis la source absolue » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception). Je ne suis pas une chose.

La conscience et le monde sont interdépendants. Pas de monde sans conscience ni de conscience sans monde. « Toute conscience est conscience de quelque chose » (Husserl, Méditations cartésiennes). C’est la thèse de la phénoménologie (l’étude de la manière dont les phénomènes (les choses) apparaissent à la conscience, mais aussi l’interrogation sur la source du réel). La conscience vise toujours un objet extérieur à elle : la conscience est donc toujours distincte de l’objet dont elle a conscience. Exister, c’est étymologiquement « se tenir hors de », être hors de soi, tourné vers les choses. L’être humain est un rapport aux choses, un rapport qui change en permanence selon les situations et les valeurs que je leur accorde, une visée du réel (ce que Husserl nomme “l’intentionnalité”).

Je ne choisis pas les structures diverses (corps, milieu social, etc) à travers lesquelles j’ai conscience du monde, mais à l’intérieur de ces structures, je fais des choix à chaque instant. Mon rapport au monde est à la fois libre et influencé/contraint par des structures. Je ne peux pas sortir de ma conscience pour aller voir à quoi ressemblerait le monde du point de vue d’une autre conscience.

LA CONSCIENCE MORALE

La conscience morale, c’est la capacité de distinguer le bien du mal. Il s’agit d’une faculté proprement humaine (Aristote, Éthique à Nicomaque) : les notions de Bien et de Mal n’existent que pour les êtres humains. La conscience morale émet des jugements de valeurs (jugements qui portent sur « ce qui devrait être »), par opposition aux jugements de fait (qui portent sur ce qui est). Pour les religieux, le Bien et le Mal sont des absolus qui viennent de Dieu. Pour les essentialistes, ce sont des absolus qui viennent de la Nature : ce qui est dans la Nature, c’est ce qui doit être. Enfin, pour les existentialistes, le Bien et le Mal sont des créations humaines. Le Bien, c’est ce que nous désirons. Le Mal, c’est ce que nous ne désirons pas. Par exemple, nous ne désirons pas que les autres nous nuisent, donc nous avons défini comme un bien le fait de « ne pas nuire à autrui ». C’est parce que le Bien et le Mal n’existent ni en Dieu ni dans la Nature que nous devons les inventer. Le Bien et le Mal sont des concepts qui nous permettent de valoriser ce que nous voulons et de condamner ce que nous ne voulons pas.

Kant écrit : “agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature”. Autrement dit, agis comme si tout le monde faisait comme toi. Seuls nos désirs “universalisables” (nos désirs qui devraient être partagés par tous) doivent être transformés en lois.

Rousseau, Le Contrat Social : Sur le plan politique, quand ceux qui votent les lois doivent ensuite obéir à ces lois, ils ont intérêt à voter des lois justes, ce qui est un avantage de la démocratie.

LA PERCEPTION

Percevoir, c’est prendre connaissance du réel par les divers sens de son corps. Ce n’est pas sentir passivement, mais juger ce qu’on sent. Aucune perception n’échappe au jugement de la conscience. Platon, La République, Allégorie de la Caverne : nous sommes dans l’illusion car nous prenons les ombres des choses pour les choses elles-mêmes. Sortir de la Caverne signifie devenir LUCIDE. (Lucide venant du latin « lux » qui signifie « la lumière »). Aux 5 sens externes nommés par Aristote, l’on peut ajouter 4 sens « internes » : la proprioception (situer nos membres), l’équilibrioception (le sens de l’équilibre), la thermoception (le sens des températures) et la nociception (le sens de la douleur). Pour Platon, le réel, c’est les Idées et non le réel matériel. A l’inverse, pour Aristote, il n’y a que ce monde (dont les idées font partie).

L’on croit spontanément percevoir le réel “objectif”. Nous disons par exemple “cette pierre est rouge”. Pourtant, un daltonien la percevra d’une autre couleur… certains animaux la percevront « en noir et blanc », certains insectes ne percevront ni le « dur » ni le « rugueux », etc. Avec une perception différente, nous percevrions un réel différent : le réel est subjectif, relatif à la perception que nous en avons. Il y a autant de réels que de perceptions ! Le réel « en soi » ou « objectif » n’existe pas. Le réel est inconcevable indépendamment d’une perception de ce réel. « Être, c’est être perçu ou percevoir » (Berkeley). Un objet n’existe que relativement à une perception (réelle ou possible) de cet objet. Le bruit d’un arbre qui tombe n’existe que pour une oreille. La notion de « bruit » n’a de sens que pour un organe sensoriel qui perçoit le bruit. La perception est un prisme qui suscite et réfracte le réel ; pas de réel sans perception réfractante. Je suis un prisme transcendantal : celui par qui il se fait qu’il y a un monde, la source de l’être et des valeurs. Les prismes empiriques de ma perception (prismes biologiques, psychologiques et sociaux) ne me définissent pas.

L'INCONSCIENT

« Inconscient » signifie étymologiquement « sans avec savoir » (in - cum - scientia, ce qui pose un problème : on ne peut pas en même temps savoir et ne pas savoir quelque chose, c’est contradictoire.

L’inconscient serait une composante de moi-même dont je n’ai pas conscience, qui constituerait la plus grande partie de moi-même et qui dicterait mes actes. L’inconscient serait « une partie de moi qui n’est pas moi ». « Une partie de moi », donc pas quelque chose d’extérieur à moi, mais « qui n’est pas moi », donc qui est de l’ordre des choses. C’est un concept réificateur : il amène à ne plus considérer l’être humain seulement comme un sujet mais aussi comme un objet (comme un “non-moi” obscur, en tant qu’Inconscient, et comme le simple produit de ce “non-moi” en tant que conscience).

Un exemple de théoricien de l’Inconscient : Freud.

Freud distingue 2 « topiques » (deux niveaux du psychisme). Première topique : les lieux psychiques : le conscient (ce dont j’ai actuellement conscience), le préconscient (les souvenirs disponibles pour la conscience) et l’inconscient (les souvenirs indisponibles pour la conscience en raison du refoulement (expulsion de ces derniers hors de la conscience) et de la résistance (empêchement de revenir à la conscience). Deuxième topique : les instances de la personnalité : le ça (les pulsions), le surmoi (la morale héritée de l’éducation), et le moi (le « chercheur de compromis » entre le ça et le surmoi). L’inconscient est constitué par nos traumas et nos désirs refoulés. Il se manifeste parfois par des lapsus et des actes manqués. Le but de la psychanalyse est de ramener l’inconscient à la conscience afin de devenir plus libre.

Freud s’inspire de Schopenhauer et Nietzsche. En effet, le « Vouloir-vivre » de Schopenhauer et la « volonté de puissance » de Nietzsche désignent nos instincts, notre inconscient qui dicterait nos actes. Lorsque nous croyons agir pour des motifs rationnels, en fait, nous agirions à cause de raisons inconscientes liées à ces instincts.

*Mais l’Inconscient existe-t-il vraiment ? Pour Descartes et les phénoménologues comme Sartre, l’être humain n’est que conscience. “Toute conscience est conscience de quelque chose”, disait Husserl : il y a la conscience d’un côté, et les choses extérieures de l’autre. L’inconscient, pour Sartre, n’est qu’une “conscience de mauvaise foi”, quand je prétends ne pas savoir ce que je sais.

Les prismes biologiques, psychologiques et sociaux de ma perception, ainsi que toutes les choses qui m’influencent et me contraignent, ne font pas partie de moi. Les objets ne me définissent jamais, que je sois conscient ou non de ces objets - et quel que soit l’impact de ces objets sur moi. “Le moi n’est pas maître dans sa propre maison”, comme l’écrit Freud, mais “sa propre maison” n’est pas “le moi”.

AUTRUI

Autrui, c’est « l’alter ego », « l’autre moi ». Autrui est à la fois semblable et différent de moi : différent, car il est « autre que moi », et semblable, car il est un « autre moi », un être humain comme moi.

Je fais l’expérience de ma conscience, mais non de celle d’autrui. Je suppose l’existence d’autrui par raisonnement (Descartes) et par un sentiment spontané (Husserl). Le monde gravite autour de moi, mais autrui, par son regard, me vole ma position de centre et fait de moi une chose parmi les choses. Le rapport à l’autre : un « combat de centres ».

Je suis « seul » : je suis le seul à être moi. Pour moi, l’autre c’est l’autre, mais pour l’autre, l’autre c’est moi. Il n’y a que pour moi que je suis moi. Autrui vit toujours une expérience différente de la mienne. Je ne sais jamais ce qu’autrui ressent : je n’ai pas accès à sa conscience.

Autrui, par son regard, me « réifie », me « transforme en chose », me considère comme une chose (Sartre). Autrui m’enferme dans une définition, il me réduit à une représentation qu’il a de moi. Réciproquement, je réifie autrui par mon regard. Or, « Je ne suis pas ce que je suis » (Sartre) : j’échappe à toute définition, autrui aussi.

Pour ne plus réifier autrui, il faut accepter sa transcendance : le fait qu’il nous échappe, l’impossibilité de le connaître. Pour connaître autrui, il faudrait être à sa place, mais alors, ce ne serait plus autrui, mais moi. Connaître autrui est donc impossible. Renonçons à notre désir vain de connaître l’autre et de le posséder. Par exemple, l’amour authentique consiste à savoir que l’on croit en l’autre et non à croire que l’on connaît l’autre : il s’agit d’un acte de confiance, non de connaissance.

Parabole des porcs-épics (Schopenhauer) : il faut trouver la “bonne distance” avec autrui, être ni trop extraverti ni trop introverti, car l’excès d’interactions sociales pique et l’excès d’isolement donne froid.

L’égoïsme est indépassable : c’est toujours pour soi-même que l’on fait plaisir à autrui (par exemple, par intérêt, pour le plaisir de faire plaisir ou pour le plaisir de la bonne conscience). Distinguons donc, non pas l’égoïsme de l’altruisme, mais l’égoïsme égocentré (tourné vers soi) de l’égoïsme altruiste (tourné vers les autres). Rousseau distingue l’amour de soi : s’aimer soi-même, “prendre soin de soi”, s’éviter de la souffrance, etc, de l’amour propre : aimer son image et se comparer aux autres, narcissisme.

Pour Kant, être « majeur », c’est ne pas se laisser dicter sa vie par autrui. Disposer de sa vie, oser penser par soi-même (et non s’en remettre à des « tuteurs » qui disposent de notre vie et qui nous disent ce qu’on doit penser).

LE DÉSIR

« Désir » vient du latin « desiderium » : « regret ». « Desiderare » signifie « cesser de contempler l’étoile », « regretter l’astre éteint ». Désirer, ce serait regretter l’absence de quelque chose, manquer de quelque chose. « Désir » serait synonyme de « manque ». Le désir exclurait « l’ataraxie » (l’absence de troubles).

Le Désir, en un premier sens, c’est le fait de tendre vers quelque chose qu’on aimerait posséder (et donc qu’on ne possède pas). L’on ne pourrait désirer que ce que l’on n’a pas.

Mais Le Désir, en un deuxième sens, est la Puissance de jouir (André Comte-Sponville) : la capacité de jouir. Le désir se distingue ici du manque. L’on peut jouir de ce qu’on a, de ce qu’on est en train de faire.

Suis-je malheureux parce que je n’ai pas ce que je désire ou parce que je désire ce que je n’ai pas ? Ne plus avoir de désir n’est pas un signe de complétude et d’accomplissement, mais de mal-être. Distinguons LES désirs (pulsions, caprices, etc) du Désir avec un grand D qui porte sur les horizons qu’on vise. La volonté, quant à elle, consiste à se donner les moyens d’atteindre ces horizons. Obéissons davantage aux “causes finales” (buts que je me fixe) qu’aux “causes efficientes” (instincts mécaniques). Mais il reste difficile de savoir dans quelle mesure mes désirs et mes goûts me sont dictés par mon milieu biologique, psychologique et social. (Schopenhauer : l’Homme ne peut pas désirer ce qu’il veut).

*Épicure, dans sa Lettre à Ménécée, classe nos désirs en trois catégories : les désirs naturels et nécessaires (boire, manger, etc), les désirs naturels et non nécessaires (sexualité, bonne nourriture, sport, etc) et les désirs non naturels et non nécessaires (luxe, gloire, pouvoir, etc). Être sage, c’est ne satisfaire que les désirs naturels (les nécessaires et les non-nécessaires de manière mesurée).

Désirer renoncer au Désir est contradictoire (car renoncer au désir c’est encore désirer) - et déconseillé (car l’absence de désir conduit à la dépression). Et comme l’écrit Rousseau : « il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désir ni crainte se donnerait la peine de raisonner ».

L’EXISTENCE

Exister vient du latin “ex sisterequi signifie « se tenir debout hors de », donc être hors de soi, tourné vers les choses. Exister, c’est donc être « jeté au monde » à chaque instant, jeté hors de soi. « Toute conscience est conscience de quelque chose ». La conscience n’a pas d’intérieur, elle est toujours en relation avec des choses extérieures à elles.

La Vie, c’est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort (Bichat) : c’est une réalité biologique (le corps). C’est le fait de vivre, de satisfaire ses instincts. L’Existence, c’est le fait d’être conscient, de savoir qu’on vit : c’est une réalité spirituelle (l’esprit). La Solitude, c’est le fait que personne n’est à ma place : je suis le seul à être moi.

Nos parents permettent d’expliquer comment nous sommes venus au monde (par le mécanisme biologique de la procréation…), mais pas pourquoi.

L’être humain et le monde sont contingents : ils auraient pu ne pas être ou être autrement. Nous avons des buts, mais ces buts n’ont eux-mêmes aucun but ultime. L’utile n’a aucune utilité finale. L’absurde, c’est l’inadéquation entre l’Homme qui cherche un sens et le monde qui n’en a pas (Camus, Le mythe de Sisyphe). Si l’existence avait un sens prédéfini, nous ne serions pas libres mais soumis à ce sens. (Par exemple, dans les religions, nous devons suivre le « bon chemin » pour ne pas être des « impurs »). L’existence est absurde, donc nous choisissons le sens que nous lui donnons. L’Absurde est ainsi la condition de la Liberté. Enfin, la Déréliction, c’est le fait d’être jeté dans un monde qu’on n’a pas choisi, sans que notre existence ait été voulue ou désirée. (Mes parents ont désiré « un enfant », mais l’enfant que je suis aurait pu être quelqu’un d’autre. Personne n’a précisément voulu ou désiré celui ou celle que je suis.)

Il ne peut pas y avoir de “cause” du monde, car cela impliquerait que cette cause soit sans cause. L’existence reste donc un fait mystérieux.

LE TEMPS

La « finitude », c’est le fait d’avoir une fin, d’être limité dans le temps. L’existence est soumise au temps. Mais sommes-nous mortels parce que temporels, ou temporels parce que mortels ?

L’on ne peut pas définir le temps sans employer des synonymes (« durée, évolution, etc ») ou des métaphores (« écoulement, flot, etc »). C’est une notion impalpable, que l’on comprend de l’intérieur mais que l’on a du mal à se représenter clairement.

Le temps, c’est le « milieu indéfini et homogène dans lequel se situent les êtres et les choses et qui est caractérisé par sa double nature, à la fois continuité et succession. » « Continuité » et « succession » sont de vagues synonymes de « temps ». La continuité, c’est ce qui dure, ce qui reste. La Succession, c’est ce qui change, ce qui ne reste pas. Toute chose temporelle a un début, un milieu et une fin. Mais le temps lui-même n’a jamais commencé et ne finira jamais. Le temps, c’est donc l’éternité.

Le mot « Temps » vient du grec temnein qui signifie « couper ». Cela supposerait que le temps est sécable, divisible en instants. Distinguons le « temps objectif » divisible, mesurable, indépendant de notre ressenti et relatif ou non à l’observateur, du « temps subjectif », tel que nous le ressentons.

Pour Bergson, le vrai temps, c’est la durée, c’est-à-dire le temps tel qu’on l’éprouve, non tel qu’on le mesure. Le temps objectif, c’est de l’espace qui devient une image du temps.

D’après Saint-Augustin, il y a trois temps : le présent du passé (la mémoire), le présent du présent (l’attention actuelle) et le présent de l’avenir (l’attente). Tâchons de vivre au “présent du présent” afin d’éviter les “passions tristes” portant sur le présent du passé et le présent de l’avenir (Spinoza).

L’ÊTRE HUMAIN

Qu’est-ce que l’être humain ? Pour les religieux, c’est une créature de Dieu. Pour les matérialistes, c’est un produit de la Nature. Pour les existentialistes, c’est un être conscient incréé, qui est au-delà de la Nature (métaphysique) : un sujet toujours distinct des objets. Mes parents m’ont imposé la vie au sens matériel du terme, mais ils ne sont pas mes “créateurs”. Ma conscience suscite la réalité de la vie biologique et sociale que l’on m’impose.

En tant que vivant, je ne suis qu’un produit de mes parents, de mes ancêtres, de la Nature et de la société, mais en tant qu’existant, je suis la source absolue. Or, mes appartenances biologiques et sociales ne me définissent pas : je ne suis pas une chose, je suis un être humain, c’est-à-dire un rapport aux choses qui ne se confond pas avec les choses elles-mêmes, un sujet et non un objet. Comme le montre Sartre, se croire « quelqu’un », c’est être un « gros plein d’être », c’est vouloir s’oublier en tant que néant.

L’être humain est une conscience. Il y a d’un côté l’esprit humain, et de l’autre, les choses, par définition non-humaines. Je suis « conscience de quelque chose » : un rapport changeant à des choses toujours extérieures à moi. Distinguons le corps-objet (le corps perçu) du corps-sujet (le corps percevant). Je suis une conscience, c’est à dire un corps-percevant. D’après l’existentialisme, l’existence précède l’essence. L’Homme existe d’abord, il se définit ensuite. Une essence, c’est « ce qu’est un être ou une chose » : une définition. D’après les essentialistes, nous devons nous conformer à une définition préexistante. Par exemple, pour les machistes, l’essence de la femme est d’être soumise à l’homme (et pour les féministes différentialistes, c’est l’inverse). A l’inverse, d’après les existentialistes, il n’y a aucune définition à laquelle nous devons nous conformer : nous choisissons la définition que nous nous donnons. L’être humain est minuscule en tant que vivant mais immense en tant qu’être pensant. Comme l’écrit Pascal, c’est un “roseau pensant”.

LA LIBERTÉ

Au sens physique, la liberté est la possibilité matérielle de faire quelque chose. Au sens social et juridique, c'est le fait d'avoir le droit de faire quelque chose. Dans les deux cas, liberté est un synonyme de possibilité (matérielle ou sociale). Au sens philosophique, la liberté est simplement le fait de faire des choix, le “libre arbitre” : le fait que nos actes (pensées et actions) ne soient pas mécaniquement produits par des causes extérieures à nous.

Une pierre qui tombe ne choisit pas de tomber : elle tombe à cause de la gravité. Mais quand je fais telle ou telle chose, est-ce que je choisis de la faire (point de vue existentialiste comme celui de Sartre) ou est-ce que je la fais à cause d'autre chose (point de vue déterministe comme celui de Spinoza) ? Existentialisme : l’Homme est un sujet distinct de l’objet, il est au-delà de la Nature, donc libre. Déterminisme : “l’Homme n’est pas un empire dans un empire” (Spinoza), il n’échappe pas à la causalité, donc il n’est pas libre. Admettons la première hypothèse (selon laquelle je suis “condamné à être libre”, pour citer Sartre : tant que je suis conscient, je fais des choix à chaque instant, je ne peux pas ne pas choisir). Être libre, c’est simplement faire des choix, ne pas être une chose. Mais la liberté n’exclut ni l’ignorance, ni la contrainte, ni l’impuissance, ni le fait d’être influencé (consciemment ou non) par des réalités extérieures à nous, etc, donc nous ne sommes pas nécessairement responsables de nos actes (ce que le droit reconnaît avec la notion de “circonstances atténuantes”).

Être conscient, c’est susciter un réel qui nous dépasse. Le connu n’est que le sommet de l’iceberg du réel. La réalité est l’infime portion du réel dont j’ai conscience. Tout est connaissable en droit par la raison, mais de fait, le réel étant infini, nous ne pourrons jamais tout connaître. Il y a toujours une face cachée du cube. Je peux subir des effets sans connaître les causes de ces effets. (Par exemple, je peux avoir peur sans savoir pourquoi).

Je suis “responsable” de mes actes dans le sens où j’en suis l’auteur (ce n’est pas une force obscure qui choisit à travers moi), mais pas dans le sens moral : je ne suis pas forcément coupable ou méritant en raison du poids des influences et des contraintes.

Certaines sciences (biologie, sociologie, neurosciences, etc) nous aident à connaître les faits biologiques, psychologiques et sociaux qui nous contraignent, nous influencent et réfractent notre réalité - afin de nous en distancier, voire de les changer (par la médecine, le développement personnel, la politique, le militantisme, etc). Mais pouvoir choisir de s’adonner à la science et à l’action pour devenir plus « libéré » (moins « influencé » et moins « contraint ») - suppose que nous sommes libres. Si nous n’étions pas libres, par définition, nous ne pourrions pas choisir quoi que ce soit. Je suis libre tout en étant contraint et influencé par le réel : ni déterminisme ni existentialisme mais compatibilisme. C’est parce que nous sommes libres que nous pouvons essayer d’augmenter notre savoir, de devenir + puissants et de nous libérer des influences et des contraintes qui pèsent sur nous.

LE DEVOIR MORAL

Le devoir, c’est ce que je dois faire et surtout ce que je ne dois pas faire (selon tel ou tel critère que l’on choisit). Par opposition aux devoirs souvent arbitraires de la vie sociale, le devoir moral s’impose à moi de l’intérieur. Le devoir moral n’est pas une contrainte (une pression « extérieure ») mais une obligation (une pression « intérieure »). L’obligation est ce qui me lie aux autres. Sans devoir moral, la vie en société est impossible : c’est la guerre de tous contre tous.

L’être humain est un être digne, quelles que soient ses appartenances biologiques ou sociales. Digne signifie « qui mérite d’être respecté ». La dignité est inséparable de l’humanité. Il est donc légitime de condamner les actes bafouant la dignité humaine.

Mais si l’on ne s’utilisait pas les uns les autres, la vie en société serait impossible... Kant propose un clair-obscur : ne jamais traiter l’être humain SEULEMENT comme un moyen MAIS TOUJOURS AUSSI comme une fin. S’utiliser les uns les autres, mais le moins possible et le plus respectueusement possible.

Réduire le plus possible les contraintes qui s’imposent à l’être humain est le meilleur moyen de l’instrumentaliser le moins possible. Réduire la pénibilité du travail, permettre l’euthanasie et le suicide assisté pour ne plus être contraint à vivre (François Galichet), ne pas imposer une vie laborieuse et/ou prédéfinie aux enfants que l’on met au monde (Théophile de Giraud), envisager un « revenu universel » pour ne plus être contraint à travailler, faire moins d’enfants pour enrayer la surpopulation, redistribuer la nourriture non vendue au lieu de la jeter, mettre en place une société inclusive afin de ne pas contraindre les “inadaptés” à choisir entre l’adaptation forcée et l’exclusion, etc. Tendre le plus possible vers la « vraie liberté » (au sens de « possibilité matérielle et sociale »), celle qui se déploie sans nuire à autrui. Non la liberté de certains aux dépens de celle des autres, mais la liberté de tous.


LA CULTURE

« Culture » vient du latin cultura : le « travail de la terre » (l’agriculture). La culture est une transformation de la nature. La culture, au sens large, désigne tout ce qui est produit ou transformé par l’humanité... Au sens plus strict, elle désigne le développement des facultés intellectuelles : « se cultiver ». L’adjectif « intellectuel » qualifie tout ce qui sollicite l’intellect. En ce sens, les arts, les sports et les travaux manuels ont aussi une dimension intellectuelle. *Cultiver un champ, c’est transformer la nature hors de soi. Se cultiver, c’est transformer sa nature : ne plus satisfaire ses instincts comme un animal. L’être humain n’a pas des « instincts », mais des « pulsions » (c’est à dire des instincts dont il a conscience). La conscience juge toujours le réel : une pulsion est un instinct jugé, appréhendé à travers un prisme culturel. Ainsi, chez l’Homme, tout a une dimension culturelle.

Seul l’être humain est moral ou immoral, l’animal est amoral (« innocent », il n’est qu’une marionnette de l’instinct). Distinguons LA Culture au singulier : tout ce qui est produit par l’Homme - DES cultures au pluriel : les éléments culturels qui différencient un groupe humain d’un autre. La culture nous rassemble (en manifestant notre appartenance universelle à l’Humanité) tandis que les cultures nous séparent (en divisant l’Humanité en Communautés différentes).

Platon, Protagoras : le Mythe de Prométhée et d’Épiméthée est une allégorie des origines de la culture. Épiméthée, en nous créant, a oublié de nous rendre physiquement aptes à survivre dans la Nature ; Prométhée nous donne « l’intelligence » pour compenser notre extrême fragilité. C’est donc par faiblesse que nous avons dû inventer la culture pour survivre. Enfin, l’être humain A une nature, mais il N’EST PAS pas sa nature : il n’y a donc pas de “nature humaine”.

LE LANGAGE

Le langage est un système de signes qui permet de désigner la réalité, de concevoir et d’énoncer nos pensées. Ses sons et ses mots n’ont de sens que les uns par rapport aux autres.

Trois spécificités. Un : Il n’est pas constitué de « signaux » (éléments mécaniquement produits et/ou provoquant une réaction mécanique), mais de « signes » (éléments produits intentionnellement et sollicitant l’interprétation).

Deux : « Double articulation » (André Martinet) : à partir d’un nombre fini de sons, l’on peut produire un nombre infini de mots et de phrases. Trois : Capacité d’abstraction : pouvoir ranger des objets divers dans le même concept.

Le langage a 6 fonctions (Roman Jakobson). Fonction Référentielle (quand on veut qu’on s’intéresse au contenu). Fonction Expressive (exprimer ses émotions). Fonction Phatique (établir ou maintenir le contact, le contenu en lui-même n’a aucune importance). Fonction Conative (modifier le comportement de son interlocuteur, par exemple en lui donnant des ordres). Fonction Poétique (jouer avec les sonorités des lettres et des mots). Et Fonction Métalinguistique (le langage sert à réfléchir sur lui-même, par exemple sur le sens d’un mot). “Il n’y a pas de pensée sans mots” (d’après Hegel). Chercher ses mots, c’est aussi chercher ses idées. Pour Hegel, l’ineffable (ce qu’on ne parvient pas à exprimer) est “le degré le plus bas de la pensée”, tandis que pour Bergson, c’est un degré supérieur que l’on atteint par l’art. Pour Bergson, le langage ordinaire est composé de généralités qui nous font oublier la singularité des choses et des expériences. Par exemple, parler de “la tristesse” en général nous fait oublier que chaque tristesse est singulière. C’est donc à l’art de dévoiler la singularité de chaque chose et de chaque expérience…

Le langage permet de transformer l’inconnu en connu afin d’avoir plus de prise sur le réel. Par exemple, “mettre des mots (m-o-t-s) sur ses maux (m-a-u-x)”. Enrichir son vocabulaire, c’est enrichir son monde. D’après le structuralisme, l’Homme, comme le mot, ne choisit ni la définition qu’il se donne, ni sa place parmi les autres. Mais si l’Homme n’était pas libre, comment pourrait-il choisir de devenir plus lucide ?

L’ART ET LA TECHNIQUE

Ars (en latin) est l’équivalent de techné (en grec) ; chacun de ces deux termes signifie à la fois art et technique : un ensemble de moyens employés en vue d’un but.

En un sens plus restreint, il s’agit de moyens utilisés en vue de la production d’objets (objets utilitaires ou oeuvres d’art). Dans le sens le plus rigoureux des termes, l’on distingue la technique de l’art. La technique vise l’utilité tandis que l’art vise un effet esthétique (comme par exemple la beauté, mais pas nécessairement).

« Esthétique » vient du grec « aisthesis » : la « sensibilité ». Un effet esthétique est ainsi un effet sur notre sensibilité (une émotion ou un sentiment).

Adorno et Horkheimer : la raison instrumentale désigne la réflexion sur les moyens ; la raison objective désigne la réflexion sur les buts à atteindre. D’après Heidegger, la technique conduit à « l’oubli de l’être » (l’oubli de la question : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ») - et à un rapport au monde trop instrumentaliste. (À l’inverse, le poète et l’artiste, en nous invitant à contempler le réel sans visées utilitaires, nous ramènent à l’étonnement philosophique et nous empêchent de réduire le monde à un simple stock de ressources à exploiter). De même, les problèmes écologiques actuels témoignent des dangers de la technique.

L’Écologisme fondamentaliste est une pensée technophobe qui prône un retour en arrière. L’Écologisme réformiste invite à poursuivre le progrès technique, mais en le « réformant », en le rendant inoffensif (ou moins néfaste) pour l’environnement. L’être humain, originellement faible, a utilisé la technique pour survivre dans une Nature inhospitalière : condamner moralement la technique, c’est oublier la condition humaine.

Contre les problèmes environnementaux et l’oubli de l’être, l’on peut soumettre la raison instrumentale à la raison objective, soumettre les moyens aux buts (et non définir la productivité comme un « but en soi »). D’abord se fixer des horizons et des impératifs éthiques, et seulement ensuite mettre en œuvre des moyens pour atteindre ces horizons en respectant nos impératifs éthiques.

L’ESTHÉTIQUE

En un sens rigoureux, est esthétique ce qui affecte la sensibilité lorsque nous ne sommes plus acteurs mais spectateurs du réel. L’art nous arrache un instant à la tyrannie du vouloir-vivre (instincts et besoins) en nous rendant spectateurs de celui-ci. (Or, être spectateur, c’est être distant). Tout objet devient un objet d’art quand il est contemplé. En contemplant la Nature, je lui donne un but esthétique qu’elle n’a pas en soi. Ce n’est pas parce qu’une chose est belle que nous la désirons, mais c’est parce que nous la désirons qu’elle est belle (Spinoza). L’art permet de sublimer des pulsions que la société nous interdit de réaliser (Freud).

L’art exprime l’intériorité (Hegel). L’art révèle les mille nuances du réel que le « regard utilitaire » ne voit pas (Bergson). (Par exemple, les mille différences entre les arbres existants que le regard utilitaire ne voit pas car il se contente de ranger tous les arbres existants dans le même tiroir du concept “d’arbre”). *Le beau, au sens strict, désigne ce qui est ordonné, harmonieusement proportionné, et renvoie donc à l’idée que le monde est un ordre. *Pour Kant, le beau est ce qui plaît universellement (en renvoyant à de grandes idées universelles), mais « sans concept » (car l’on ne peut pas démontrer pourquoi). Mais au vu des différences de goûts, échappe-t-on au subjectivisme ?

*Le sublime désigne ce qui est chaotique, démesuré, il renvoie donc à l’idée que le monde est un chaos infini. Le comique ou « sublime inversé » (Richter) nous fait éprouver l’infini « d’en haut », en nous faisant rire de la petitesse de l’humain par rapport à l’infini, et non « d’en bas » comme le sublime qui nous fait considérer l’infini par rapport à notre petitesse.

LE TRAVAIL

« Travail » vient du latin « tripalium » : un objet formé de 3 pieux. Il s’agit d’un instrument pour attacher les animaux fougueux, ou d’un instrument de torture. Le travail domestique et fait souffrir l’être humain, il entre en conflit avec la liberté et avec le bonheur, il constitue « la meilleure des polices » (Nietzsche), entrave le développement de la raison, empêche la rêverie. Il est un Divertissement (au sens de Pascal) : il détourne des grandes questions existentielles.

Le travail n’est toujours qu’un moyen et non une fin en soi (André Comte-Sponville) : il n’est donc pas une valeur morale.

Certes, le travail transforme la Nature, discipline les désirs, produit et/ou entretient ce dont nous avons besoin, développe nos facultés proprement humaines. D’après Hegel, l’esclave conquiert sa liberté en travaillant pour le maître qui devient dépendant de l’esclave (ce que l’on nomme “la dialectique du maître et de l’esclave”). Le travail contraint à renoncer à des pulsions, mais permet de sublimer celles-ci (de les satisfaire par des voies détournées) (Freud). Le travail permet aussi de mesurer le pouvoir de notre esprit sur les choses : à partir d’une idée de notre esprit, l’on change le réel. L’esprit s’objective dans la matière (Hegel) : nos idées s’incarnent dans les choses, l’on peut reconnaître l’activité de notre esprit dans la matière.

Contre Platon qui considère le mépris des choses matérielles comme une marque de la supériorité du philosophe, Marx objecte que seul le riche a le privilège de se soustraire aux tâches domestiques et aux basses besognes car il peut interposer un esclave entre lui et le monde. Dans notre monde, la connaissance est un luxe tandis que l’action ne saurait souffrir de délai. De même, le travail nous libère de l'assujettissement à la Nature, mais nous assujettit à la société !

Distinguons la Scholè (le loisir, le travail choisi et humanisant) de l’Ananké (la nécessité, le travail contraint et dégradant). Tendons donc vers moins d’ananké et plus de scholè. Tout être humain mérite de vivre dignement, qu’il travaille ou non.

*L’aliénation, du latin alienus : « autre », c’est ne plus disposer de sa vie (Marx). Le prolétaire (le travailleur) ne discerne plus la marque de son esprit dans son travail. Il est comme dépossédé de son humanité : « réifié », considéré comme une « force productive », privé de l’exercice de ses facultés humaines diverses (art, philosophie, contemplation, etc). Le capitaliste s’enrichit par la plus-value : la différence entre le prix des biens produits et celui des salaires. C’est l’exploitation : s’enrichir par le travail de travailleurs sous-payés. Répartissons mieux les richesses pour mettre fin à la misère et au travail forcé !

LA RELIGION

« Religion » vient du latin religio : scrupule, délicatesse, conscience morale. (L’on veut bien agir par crainte de Dieu et non seulement pour le bien lui-même). Religare : lier, relier. La religion relie les croyants à Dieu. Relegere : recueillir ou relire. Recueillir le sens de la vie (qui nous préexisterait) et relire les textes sacrés ou le monde lui-même (pour en saisir le sens).

La religion est le rapport de l’Homme au divin ou à une réalité supérieure. *Elle prend une dimension sociale en s’incarnant dans des institutions, des dogmes (« vérités révélées » qu’on accepte sans comprendre), des croyances, des pratiques rituelles et des devoirs moraux.

Être religieux, c’est croire en notre lien au divin. Par exemple, Épicure croit en des dieux indifférents à nous : il n’est donc pas religieux.

Polythéisme : plusieurs dieux. Monothéisme : un seul Dieu. Panthéisme (du grec “pan” : le tout), le monde est Dieu (stoïciens ou Spinoza). Le Dieu des panthéistes peut être moral ou amoral. Pour André Gide, Dieu désigne le réel considéré dans sa dimension esthétique, sensuelle et perpétuellement nouvelle.

Déisme : un rapport à Dieu uniquement personnel. Agnosticisme : impossibilité de savoir si Dieu existe ou non. Athéisme (A privatif + theos : Dieu) : pas de Dieu. Théodicée : Dieu est juste en dépit des apparences.

*Approches rationalistes : vouloir comprendre Dieu. Approches irrationalistes : « les voies du Seigneur sont impénétrables » (La Bible, Pascal et Kant) : l’on ne peut que croire... Objection : tout est connaissable en droit par la raison.

Réfutation morale : le mal dans le monde invalide l’hypothèse d’un Dieu à la fois bon et tout-puissant. « Il faut que nous naissions coupables, sinon Dieu serait injuste » (Blaise Pascal). Dire que Dieu existe justifie le mal, ce qui est immoral.

Réfutation métaphysique : ce n’est pas Dieu, mais la conscience qui suscite la réalité du monde. Toute chose suppose toujours une conscience qui pense cette chose. La réalité du monde suppose ma conscience.

L’HISTOIRE

Au sens large, l’Histoire désigne l’ensemble de tous les événements passés, présents et futurs. Au sens restreint, c’est le passé humain et la connaissance de ce passé. L’Histoire est le lieu des actes.

L’on distingue le passé : l’Histoire réelle, de la connaissance du passé : l’Histoire comme discipline. Histoire vient Du grec « historia » : enquête. L’historien étudie des traces du passé afin de découvrir « ce qui a été ». Hérodote, « le père de l’Histoire » selon Cicéron, a écrit : Les Histoires ou L’Enquête.

Histoire traditionnelle : centrée sur les supposés « Grands Hommes » et « Grands Événements » célébrés par le “registre épique”. L’Histoire traditionnelle est ethnocentrée (centrée sur notre peuple occidental).

Histoire globale : se placer d’un point de vue mondial, prendre en compte tous les peuples pour étudier l’Histoire.

Histoire d’en bas : s’intéresser aux peuples dans leur vie quotidienne car tout le monde est acteur de l’Histoire.

Contre l’émotionnel épique et l’embellissement de l’horreur, l’Histoire moderne prône un souci d’objectivité et « l’Humain d’abord ». Les tyrans n’ont que le pouvoir que les peuples leur accordent (La Boétie, Discours de la servitude volontaire). C’est la société qui doit être au service des Hommes et non les Hommes qui doivent être au service de la société (Brecht).

Contre Hegel qui prétend que l’Histoire a un sens en elle-même et Schopenhauer qui affirme qu’elle n’en a pas, nous pouvons répondre que l’Histoire n’a que le sens que nous lui donnons.

« Notre Histoire n’est pas notre code » (Rabaut-Saint-Étienne). Ce qui doit être (en droit) n’est pas déductible de ce qui a été (en fait). L’Histoire n’est jamais un argument valable pour justifier telle ou telle société. Dire que « X existe depuis la nuit des temps » ne légitime pas X.


RAISON ET CROYANCE

Raison vient du latin ratio : calcul. Au sens restreint, c’est la faculté de calculer, d’enchaîner des idées de façon cohérente (la logique), de distinguer le vrai du faux (la raison théorique) ou le bien du mal (la raison pratique). Au Sens « élargi », c’est la faculté de « juger ». Énoncer des jugements de valeur (portant sur ce qui devrait être), mais aussi des jugements ontologiques (portant sur ce qui est). Tant que je suis conscient, je juge le réel à chaque instant : je suis une raison en acte.

La “raison élargie” inclut l’imagination, la folie, les sentiments, les émotions et les passions. (“Passion” vient du latin “patior” : “souffrir, subir”). *Pour Kant, l’entendement est le jugement du réel perceptible, tandis que la raison est le jugement d’idées. Ainsi, l’entendement reste « les pieds sur Terre » tandis que la raison peut facilement délirer. (Par exemple, l’entendement juge le mur qui est devant moi tandis que la raison juge Dieu ou les fantômes).

Rationnel signifie « logique » (pour l’enchaînement des idées) ou « explicable par la raison » (pour le réel). Est raisonnable ce qui est bien selon tel ou tel critère. Le réel est rationnel, mais pas raisonnable.

Tout savoir est aussi une croyance : toute démonstration repose sur des hypothèses non démontrées. L’analyse explique le tout par les parties (l’inverse de la synthèse). Pas d’analyse définitive en raison de “l’infiniment petit” (toute partie se divise toujours en plusieurs parties, donc il faudrait analyser les parties des parties, puis les parties des parties des parties, etc : ça ne s’arrête jamais). Comme le montre Pascal, les mots complexes se définissent par des mots plus simples, mais les mots les plus simples sont indéfinissables (car il faudrait alors définir le simple par le moins simple).

Methodos en grec signifie « recherche ou poursuite d’un chemin ». Une méthode est un chemin à suivre (hodos) pour parvenir à quelque chose au-delà du chemin (méta).

Les sciences sont des savoirs ou des méthodes de savoir portant sur différents aspects du réel. Tandis que la science traditionnelle se contentait de raisonnements, la science moderne exige de passer les théories au crible de l’expérience. Un énoncé scientifique doit être “falsifiable” (Karl Popper) : être potentiellement réfutable par l’observation. Il doit donc porter sur une réalité perceptible. Un énoncé scientifique ne peut jamais être définitivement vérifié. Pas de science définitive ni de savoir absolu possibles.

THEORIE ET EXPERIENCE

Théorie vient du grec « Theion Orao » : « Je vois le divin ». Les anciens pensaient que le monde était un ordre divin (cosmos) à contempler. Expérience vient du latin experiri : « éprouver ». Periri : « tenter » ; Periculum : « épreuve, risque, danger ».

Une théorie est un ensemble d’idées qui vise à expliquer des phénomènes matériels ou à comprendre des phénomènes humains. Expliquer c’est établir un lien mécanique entre une cause et un effet. Comprendre c’est chercher à saisir l’intériorité humaine, par définition inaccessible, en cherchant le sens d’actes humains. L’on explique la Nature ; l’on comprend l’être humain (Dilthey). *L’expérience, c’est l’épreuve du réel ou le savoir acquis par cette épreuve.

*Théorie hypothético-déductive : déduite d’hypothèses. Théorie inductive ou expérimentale : induite d’observations menées à partir d’hypothèses préalables. Expérimentation : formuler des hypothèses et observer si l’expérience ne les réfute pas. Déduire : conclure une vérité particulière d’une loi générale. (Tous les Hommes sont mortels, donc Pierre est mortel). Induire : conclure une loi générale à partir d’observations particulières. (Les Hommes meurent donc l’Homme est mortel). La déduction ne prouve rien car elle ne s’appuie pas sur l’expérience, l’induction non plus car elle ne fait que supposer que ce qui vaut pour les cas observés vaut pour tous les cas existants.

Contre Hume, Kant affirme que les lois scientifiques sont fiables car elles sont dans notre esprit et non dans les choses, nous n’avons qu’à bien les appliquer.

*L’Expérimentation suppose une interaction entre la théorie et l’expérience : proposer des théories opératoires (que l’on peut mettre en pratique, soumettre au test de l’expérience) et mener des expériences à partir de théories préalablement définies.

*« Rien n’est donné, tout est construit » (Bachelard) : toute vision scientifique du monde est une construction humaine relative à l’esprit humain. (Avec un autre esprit, nous percevrions un autre monde).

LA DEMONSTRATION

« Démonstration » vient du latin demonstratio : « action de montrer ». Démontrer, c’est montrer la vérité d’un jugement par un raisonnement. Deux critères. La cohérence : le bon enchaînement des idées (selon les règles de la logique). La vérité : la conformité au réel.

Le Syllogisme. Tout A est B (prémisse majeure), or C est A (prémisse mineure), donc C est B (conclusion). Exemple : tous les Hommes sont mortels, or Pierre est un Homme, donc Pierre est mortel. La conclusion est déjà contenue dans les prémisses, donc le syllogisme n’apprend rien. Kant : l’existence d’une chose ne se déduit pas, mais se saisit par « intuition » (perception). L’idée d’une chose n’implique jamais son existence.

Toute démonstration repose sur de l’indémontré (les hypothèses) et de l’indémontrable (les axiomes ou premiers principes de la logique). Aristote, les deux grands axiomes de la logique : principe de non-contradiction (ne pas affirmer et nier la même chose) ; principe du tiers-exclu (entre deux énoncés contradictoires, l’un est vrai, l’autre est faux).

L’explication cherche des causes (le comment), l’interprétation cherche un sens (le pourquoi). Tout sens suppose une conscience qui a donné ce sens : il n’est d’interprétation que de phénomènes humains. *Une pensée sur l’intériorité d’un être humain (par exemple à partir de l’interprétation de symptômes) n’est jamais un savoir, mais toujours une supposition, car je ne suis jamais à la place de l’autre. La conscience est inconnaissable.

Nietzsche, Le gai savoir, paragraphe 374 : l’infini des interprétations. Tout point de vue est toujours critiquable par un autre point de vue.

Scepticisme anthropologique : je ne peux rien savoir concernant les humains qui m’entourent car leur conscience m’est inaccessible (je ne peux qu’interpréter).

Enfin, c’est moi qui choisis les premiers principes à partir desquels je veux fonder l’éthique : l’éthique est toujours un point de vue, jamais une vérité objective.

LE VIVANT

L’Homme n’est pas seulement un vivant (un être en train de vivre), mais aussi un existant (car il sait qu’il vit). Exister implique de juger ses instincts et de choisir la manière dont on les satisfait : ils deviennent ainsi des pulsions et prennent une couleur culturelle. Tous nos instincts vont dans le sens de notre survie et de celle de notre espèce. Le « Vouloir-vivre » désigne l’ensemble des instincts qui s’imposent à nous (mais que nous pouvons réprimer, ou sublimer : satisfaire par une voie détournée). D’après le finalisme, les choses naturelles ne seraient pas le fruit de causes efficientes (mécanismes aveugles et sans conscience), mais de causes finales (buts choisis par un être conscient). *Par exemple, dire que « l’œil est fait pour voir », c’est finaliste. Si les choses naturelles sont là par hasard (par le concours de causes mécaniques et aveugles sans l’intervention d’une quelconque volonté), alors l’on ne peut pas dire qu’elles sont « faites pour » quelque chose. Lucrèce : ce n’est pas la fonction qui crée l’organe, mais l’organe qui crée la fonction.

D’après Kant, le vivant s’organise et se répare tout seul, tandis que la machine a besoin d’un agent extérieur pour être organisée et réparée.

Pour les matérialistes, nos désirs, que nous ne choisissons pas, sont les causes efficientes de nos actes. Pour Sartre, à l’inverse, seules les causes finales rendent compte de nos actes. Le but à venir que nous nous fixons éclaire toujours notre action présente.

Troisième voie : ce sont bien nos buts qui orientent nos actions, mais nous pouvons être contraint ou influencé, parfois à notre insu, par des causes efficientes. Distinguons ainsi ce qui relève des causes finales (les horizons qu’on se fixe) de ce qui relève des causes efficientes (la contrainte ou l’influence de nos instincts).

LA MATIERE ET L’ESPRIT

« Matière » vient du latin materia : « bois, matériaux ». C’est comme le matériau de construction du réel. « Esprit » vient du latin spiritus : « souffle, vent ». (Parallèlement, “âme” vient du latin anima : « souffle, respiration »). C’est comme un souffle qui anime la matière et qui lui donne vie.

Matière et esprit ne se posent qu’en s’opposant l’un à l’autre. La matière désigne les choses, par définition en dehors de l’esprit. L’esprit désigne le rapport aux choses, par définition non matériel.

Kant : le seul moyen de savoir que quelque chose existe, c’est de le percevoir. Or, l’esprit d’autrui n’est pas perceptible. Je ne peux donc pas être certain qu’autrui existe.

La matière, c’est l’avoir. L’esprit, c’est l’être. Toute conscience est conscience de quelque chose : tout esprit est toujours un rapport à des choses matérielles.

D’après Kant, les phénomènes sont les choses telles qu’elles nous apparaissent ; les choses en soi sont les choses telles qu’elles sont. Les choses en soi sont inaccessibles car je n’ai accès au réel qu’à travers ma perception. De plus, vu qu’il n’y a de réel que pour une perception, les choses en soi n’existent pas.

D’après le Monisme (du grec monos : seul), la réalité est composée d’un seul type de substance (la réalité est « une », d’un seul ordre). Matérialisme : l’esprit est matériel (un produit de la matière). Idéalisme : la matière n’est qu’une idée de l’esprit (Berkeley). Thèse solipsiste : seule ma conscience existe.

*D’après le Dualisme (du latin dualis : deux), la réalité est « duelle », composée de deux types de substances (divisée en deux ordres) : la matière et l’esprit. *La phénoménologie constitue une synthèse entre le matérialisme et l’idéalisme en montrant que l’esprit et la matière sont interdépendants (il n’y a pas de matière sans esprit ni d’esprit sans matière).

LA VERITE

La Vérité-Homoiôsis est l’adéquation entre le réel et le jugement que je porte sur lui. Elle est subjective : relative à la subjectivité humaine. Quand je dis « le mur est bleu », mon jugement est vrai s’il correspond bien à la réalité ; cependant, le « mur » et le « bleu » n’existent pas « en soi », mais seulement pour une perception. Les jugements de valeur relèvent du désir.

La Vérité-Homoiôsis obéit aussi aux lois de la logique. Exemple : « ce cercle est carré » : contradictoire, donc faux.

La Vérité-Aletheia est le dévoilement de la question de l’être : quand on prend conscience que le fait qu’il y ait un monde et que nous existions ne va pas de soi, mais pose question. « Aletheia » (en grec) signifie « non voilé ». La Vérité-Aletheia désigne la révélation du mystère de l’être (...pas de réponse à la question “pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?”).

Contingence : l’Homme et le monde auraient pu ne pas être ou être autrement. « Je suis la vérité » (Michel Henry) : je suis la source absolue et le lieu de l’étonnement philosophique.

Heidegger distingue les étants (les choses en train d’être) de l’être (le fait qu’il y ait des étants, le « il y a »). Les étants peuvent tous être des objets de science, mais pas l’être, car tout objet de science le suppose. Comme l’écrit Wittguenstein, “Ce qui est mystique, ce n’est pas comment est le monde, mais le fait qu’il est.” Tout est explicable dans le monde, mais le fait qu’il y ait un monde et que nous existions n’est pas explicable.

La vérité peut aussi désigner la condition humaine. D’après Pascal, le « Divertissement » (du latin diverto : « se détourner de ») consiste à s’agiter dans le but (avoué ou non) de s’oublier soi-même en tant que néant et de « se détourner de » la pensée de la condition humaine. Toute activité peut être un Divertissement. Se confronter à la condition humaine nous invite à améliorer celle-ci.


L’ÉTAT, LA SOCIÉTÉ ET LES ÉCHANGES

L’État désigne le pouvoir politique auquel est soumis un ensemble d’êtres humains vivant sur un territoire donné. Du grec « polis » (la Cité) et “techné(art/technique), la politique est l’art d’organiser la société.

Du grec demos kratos, la démocratie est un régime politique dans lequel le pouvoir (kratos) appartient au peuple (demos). Du latin res (la chose) et publica (publique), une république est un ensemble de “citoyens” (de participants à la politique). Par opposition à la dictature (terreur temporaire) et au totalitarisme (terreur permanente), la démocratie implique la séparation des pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire.

« Société » vient du latin « socius » : « compagnon, associé, allié ». Vivre en société devrait donc consister à vivre en associés. La société désigne les êtres humains qui vivent ensemble, de façon organisée (par opposition à « l’état de nature »), avec ou sans État. Du grec “oïkos” (la maison) et “nomos” (la loi), l’économie est « l’art d’organiser la maison » (à l’échelle individuelle ou collective), l’art de survivre, - et plus précisément, la sphère des échanges.

D’après Hobbes, l’état de nature, c’est la “guerre de tous contre tous” (car les Hommes sont mauvais par nature et sans libre-arbitre). Pour que l’ordre règne, les Hommes se soumettent à un pouvoir absolu (Le Léviathan). À l’inverse, pour Rousseau, les Hommes sont bons par nature et dotés de libre-arbitre, ils doivent être les auteurs des lois : l’État doit exprimer la “volonté générale”. “L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté” (Le Contrat Social). Pour Sartre, l’Homme A une nature mais il N’EST PAS sa nature, donc l’Homme n’est ni bon ni mauvais par nature.

Pour un libéral, l’État ne doit qu’assurer l’ordre (État-Gendarme) ; pour un interventionniste, il doit aussi redistribuer les richesses, intervenir dans l’économie (État-Providence).

Les libéraux souscrivent à la théorie de la « Main invisible » (Adam Smith) : ce serait en cherchant à s’enrichir égoïstement que les gens apporteraient à la société, il faudrait donc que l’État les laisse s’enrichir sans intervenir. D’après Marx, le libéralisme, c’est le “renard libre dans le poulailler libre”, car le respect de la dignité des pauvres n’est pas assuré. “L’idéologie”, au sens de Marx, est une pensée apparemment objective mais qui défend en fait les intérêts d’une classe sociale. L'harmonie apparente n'est souvent qu'un rapport de force déguisé. Dans son texte intitulé Qu’est-ce que la propriété, Proudhon montre que le salaire du travailleur ne dépasse guère sa consommation tandis que sa production assure l’indépendance au capitaliste.

Distinguons le libéralisme économique (qui condamne l’interventionnisme au nom de la main invisible) du libéralisme politique (qui limite le pouvoir de l’État pour préserver les droits de l’Homme).

LA JUSTICE ET LE DROIT

« Justice » vient du latin jus : le droit. « Droit » vient du latin directus : « en ligne droite ». Au sens scientifique, une loi est un lien physique nécessaire entre une cause et un effet. Au sens juridique, une loi est un écrit qui contraint, interdit ou autorise les citoyens d’un État à commettre tel ou tel acte. Les lois physiques s’imposent à nous ; les lois juridiques se décident.

« En droit » signifie « ce qui devrait être ». « En fait » signifie « ce qui est ». Le droit désigne l’ensemble des lois qui limitent et garantissent ce qu’un individu peut faire sans encourir de sanction et sans que quiconque puisse l’en empêcher sans en encourir. Si j’ai des devoirs envers les autres, c’est parce que les autres ont des droits (et inversement). Le droit naturel, c’est le droit tel qu’il devrait être. Le droit positif, c’est le droit tel qu’il est.

Au sens matériel, la justice peut désigner toutes les institutions qui veillent au respect de la loi ou seulement les institutions judiciaires. Au sens moral, c’est un principe moral exigeant l’équité et la conformité au droit.

L’équité consiste à attribuer à chacun ce qui lui est dû selon ses besoins et son mérite. Mais il est toujours difficile (voire impossible) de distinguer ce qui relève du mérite ou du démérite de ce qui relève de la chance ou de la malchance. (Génétique, éducation, etc). Voir notamment la théorie de l’évolution de Darwin et la notion de “capital économique, social et culturel” chez Bourdieu.

La Loi du Talion (du latin « talis » : « tel, pareil ») repose sur la formule biblique : « œil pour œil, dent pour dent » : l’offenseur doit subir le même mal que sa victime. Le code Hammurabi, dans l’Antiquité, défend cette loi. D’après Hegel, il s’agit d’une « vengeance déguisée ». La justice, contrairement à la vengeance, suppose l’intervention d’un tiers détaché émotionnellement (le juge). « On ne peut à la fois être juge et partie. »

La justice implique l’exigence d’un rapport de proportion entre le crime et la peine. Distinguons trois types de justice (d’après Aristote) : La justice distributive (« distributions » des biens et des services). La justice commutative (fixer la valeur des biens). Et la justice corrective (réparation des préjudices).

Justice commutative et corrective : égalité arithmétique (la même chose pour tous). Justice distributive : égalité géométrique (à chacun selon ses besoins et son mérite). Pour rester juste, une société doit être intolérante à l’intolérance (Karl Popper).

LE BONHEUR

Impossible de le définir sans utiliser de vagues synonymes. Il s’agit d’une réalité intérieure, donc non décortiquable.

Heur signifie « bonne fortune, chance ». La Fortune désigne le réel considéré en tant que « distributeur » de biens et de maux aux humains. Les sens courants de bonheur sont : chance, réussite, succès ou réalité qui rend heureux. Du latin bonum (favorable) augurium (présage), le bonheur serait donc une promesse de chance.

Un sentiment est un état de conscience durable impliquant des pensées durables. Une émotion, c’est un état de conscience éphémère, souvent influencé par les circonstances et impliquant souvent des pensées éphémères. Le bonheur peut être ainsi défini comme un sentiment de satisfaction globale. En un sens plus large, c’est un sentiment plaisant ou une émotion plaisante.

Le bonheur est toujours notre but ultime, on le recherche pour lui-même (Aristote).

L’existentialisme culpabilise les malheureux (« il ne tiendrait qu’à eux d’être heureux »), le déterminisme les décourage (« ils ne peuvent pas être heureux car le bonheur n’est que l’effet de causes matérielles »). Affirmons que les malheureux sont victimes des violences du réel mais qu’ils peuvent choisir d’être heureux en dépit du réel (même si cela requiert de choisir la folie).

Le bonheur philosophique consiste à s’émerveiller de la contingence : être heureux parce qu’il y a quelque chose plutôt que rien, se réjouir du simple fait d’exister. « Je suis, j’existe » (Descartes).

Vivre dans l’attention actuelle à ce qui est (au présent du présent) permet d’éviter les « passions tristes » portant sur le présent du passé et le présent de l’avenir (regrets, remords, nostalgie, crainte, espoir, etc). Distinguer ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas et se focaliser sur ce qui en dépend, comme nous y invitent les stoïciens. Se rappeler, avec Épicure, que la mort ne nous fera jamais souffrir, car tant que nous existons la mort n’est pas - et quand la mort existe nous ne sommes plus (Lettre à Ménécée). L’on ne rencontrera donc jamais la mort.

Les stoïciens nous invitent à conformer nos désirs à l’ordre du monde (ordre divin d’après eux). D’après eux, à défaut de pouvoir changer les choses, il faut savoir changer notre regard sur les choses. Cependant, l’on peut objecter que quand le réel est injuste, changer notre regard ne suffit pas : il faut changer les choses.

Se rappeler, avec Aristote, que la vertu est le juste milieu entre deux vices - et qu’entre deux maux, il faut choisir le moindre. La science dissipe la crainte des dieux en nous montrant que tout est explicable.(Lucrèce).

Nos actes n’ont pas d’utilité absolue/finale, mais ils peuvent avoir une utilité relative au présent. Tout est provisoire, donc le provisoire est tout.

Pratiquer, parfois, l’époké des sceptiques : la suspension du jugement. Parfois, renoncer à la certitude libère de l’inquiétude. (Mais ne pas renoncer à ses exigences éthiques pour autant).

D’après Schopenhauer, pour échapper à une vie qui ne serait qu’un « pendule oscillant entre la souffrance et l’ennui », il faut se distancier du vouloir-vivre (instincts et besoins), par l’art, l’éthique et la philosophie.

Le bonheur est subjectif (propre à chacun). Autrui et l’État n’ont donc pas la légitimité de m’imposer telle ou telle vie au nom de mon bonheur. D’après Kant, le bonheur est un idéal indéterminé : l’on ne sait pas ce qui rend vraiment heureux. La quête du bonheur peut donc nous conduire à des impasses.

D’après Nietzsche, en définissant le bonheur comme un idéal, l’on ne sera jamais heureux (car « idéal » s’oppose à « réel »). Il faut apprendre à aimer la vie telle qu’elle est (y compris nos combats pour la changer). Enfin, le bonheur culpabilise les malheureux s’il devient une norme. Contre une tyrannie du bonheur au service d’une exigence de productivité permanente et d’un déni des grandes questions existentielles, rappelons donc qu’être heureux n’est pas un devoir moral.




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