Nous sommes tous responsables de l'agonie de nos semblables mourants
Lorsqu'on est vieux ou malade (que ce soit physiquement ou mentalement), l'on souffre. Notre corps ne nous appartient plus, nos organes lâchent, notre esprit déraille... nous ne parvenons plus à nous faire plaisir, à nous rendre utile, à apprendre, à être créatif, bref, à vivre. C'est une épreuve, une souffrance, voire une torture.
Or, nous le savons, il existe des maladies incurables et la vieillesse a pour issue finale le néant. La mort étant inévitable, il est éthiquement scandaleux de ne pas la rendre sereine alors qu'on en a les moyens. Quand une personne demande qu'on adoucisse son trépas, ne pas accéder à sa requête est un acte cruel.
De même, des milliers de personnes se suicident chaque année. Or, que l'on soit jeune ou vieux, malade ou en bonne santé, ne méritons-nous pas tous une mort douce ? Certaines personnes se suicident peut-être « à tort », « sans raisons rationnelles », mais pour que leur dignité soit respectée, il est toujours éthiquement préférable qu'elles se suicident en douceur plutôt que dans la douleur. La mort douce doit être accessible à tous.
Étant donné qu'il est techniquement possible d'adoucir le trépas, nous avons tous du sang sur les mains : nous sommes tous moralement responsables de la douleur du trépas de nos semblables mourants car nous pourrions leur épargner cette douleur. Si des personnes, ici et maintenant, meurent dans la souffrance physique, c'est de notre faute : nous pourrions humaniser leur mort, mais nous choisissons de ne pas le faire.
Les mourants mériteraient non seulement de ne plus être culpabilisés, mais aussi d'être rassurés et accompagnés dans un cadre qu'ils choisissent pour mettre fin à leurs jours. Le trépas étant un événement grave et solennel de la vie, il convient de pouvoir le vivre dans un lieu que l'on choisit et qui a une valeur importante pour nous. Il est également primordial de lutter contre l'objectification des personnes âgées et des malades : ces derniers ne sont pas des « propriétés » des médecins ou des familles mais des êtres humains, des sujets dont la liberté et la dignité doivent être respectées. Leur humanité est souvent tout ce qui leur reste : gardons-nous ainsi de bafouer celle-ci.
Certes, il est éthiquement impératif que le suicide soit toujours un libre-choix de la personne et non la conséquence d'une influence malveillante, mais même lorsqu'une personne se suicide parce qu'elle est “négativement” influencée par autrui, il est à nouveau éthiquement préférable qu'elle se suicide en douceur plutôt que dans la douleur : lutter contre l'incitation au suicide n'implique en rien de cracher sur le droit au suicide indolore.
« Vivre quand même », malgré la douleur, n'a de sens que s'il s'agit d'une décision personnelle et non d'une contrainte sociale. Seule la liberté de « quitter la partie » sereinement quand on le décide rend la maladie et la vieillesse supportables. Sans son goût de liberté, la vie est pire que la mort. D'où l'urgence d'un droit inconditionnel à l'euthanasie et au suicide assisté pour toute personne majeure : il en va du respect de notre dignité. Une société dans laquelle l'on ne peut abréger les souffrances de ses semblables mourants qu'en cachette, « dans l'ombre » et sous le poids du tabou, ne mérite pas le nom de civilisation.
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