La Tentation du Mal

 




Le brouillard doré de tes illusions se dissipe et découvre l'horizon noir de ta destinée. Ta chair terreuse tressaille et se crispe ; la terreur t'arrache des cris de douleur et des crachats de sang. Les vers du néant taraudent les fondements de ton être et des ténèbres glaciales t'ensevelissent. Seule la contemplation du malheur fait bouillonner ton sang maudit et seule la perspective de la mort apaise le tourbillon de tes pensées sans trêve. La clarté du soleil t'irrite et les prairies verdoyantes se moquent de ta mélancolie, c'est pourquoi tu t'exiles sur les rocs escarpés des cimes qui répondent aux résonances plaintives de ton désert intérieur. Tu t'apprêtes à plonger la lame de ton poignard dans ton cœur ensanglanté par la Vie, mais un sentiment confus de haine et d'amertume te retient : tu ne veux pas mourir invengé.

Dès ton enfance, la conscience de l'iniquité universelle t'a étreint telle une vierge de fer ; tu n'acceptais pas que des Hommes en assujettissent d'autres et que la Nature soit meurtrie ; les inégalités biologiques et sociales t'indignaient, la perversité de tes semblables te consternait et les cités humaines te terrifiaient.

Insatisfait de la réalité, tu t'es réfugié dans les châteaux vaporeux du rêve ; tu as imaginé une civilisation humaniste dans laquelle les Hommes étaient tous frères, tu as poursuivi un mirage de Vérité une et lumineuse et tu as cru entrevoir des trouées de possibles chantants dans les nuages sombres de l'avenir.

Leurré par tes idéaux hallucinateurs, tu t'immergeas dans les marais du monde ; tu t'engageas dans des associations humanitaires afin de lutter contre les puissants et de secourir les indigents ; tu t'adonnas à la philosophie afin de t’interroger sur l’absurdité de l’existence et de trouver l'essence de la société idéale ; tu fis don de tes biens et de ta personne pour lutter contre la misère ; tu te mêlas aux affaires publiques dans l'espoir d'avoir une incidence sur le cours de l'Histoire ; tu essayas d'instruire la multitude afin de terrasser l'ignorance ; enfin, tu condamnas les rapports de force et les hiérarchies de toutes sortes au nom d'une dignité chimérique.

Ton combat fut vain : l'air et les âmes sont toujours viciés par les médiocres et le fort opprime toujours le faible. Le malheur universel ne peut être vaincu. Le progrès du droit n'est qu'un phantasme d'idéaliste et les changements politiques ne sont que l'écume d'une mer de sang.

De plus, nul être n'échappe à ses ténèbres primitives : lorsque tu t'imagines œuvrer pour le Bien, tu ne fais qu'accomplir indirectement un désir pervers, et quand tu crois agir de façon désintéressée, tu ne fais que masturber ton ego. Être bon est impossible ; la morale n'est qu'une hallucination enfantée par l'orgueil. N'oublie jamais qu'un principe nocturne habite ton être. Tu auras beau vouloir être un héros, tu ne seras jamais qu'un scélérat. La quête du salut d'autrui n'est pas ce qui t'a mis en mouvement : tu as entrepris tous ces efforts dans l'unique but de te sentir exister.

Tu te repens d'avoir chéri les profondeurs, mais il est trop tard : pendant que tu croupissais dans les cloaques de ton âme, les Hommes – non travaillés par les grandes questions – ont joui… et t'ont définitivement exclu de leur communauté. Tu n'es désormais qu'un triste spectre rachitique ne suscitant que mépris et répulsion. Ne vois-tu pas que tu fais peur, que l'on se moque de toi et que la société te recrache dans ses immondices ?

Renonce à ton désir de secourir la multitude. Les médiocres se complaisent dans leur fourberie fangeuse : ils ne se révoltent pas, ce qui dévoile leur perversité. Crois-tu qu'ils méritent de savourer les délices d'une vie dévoyée, eux qui ont malmené la Nature, eux qui ont bâti une civilisation morbide et corrompue, eux qui t'ont injustement rejeté ? N'espère pas qu'ils t'écoutent un jour : si tu ne te venges pas, tu n'auras aucune incidence sur le monde et tu mourras aussi mésestimé qu'un vagabond loqueteux ; pour ceux qui sont à la surface, il est facile de jeter des pierres sur celui qui est dans l'abîme.

Leur niveau d'exigence morale est bien moindre que le tien et ils sont plus plus heureux que toi : crois-tu que cela est juste ? N'essaie plus en vain de dialoguer avec eux : ce ne sont que des larves lubriques dansant et forniquant sur le cadavre cosmique que tu portes avec peine dans la nuit de ton solipsisme.

L'heure est venue de rééquilibrer la balance de Thémis en déposant des lambeaux de leur chair sur le plateau des réprouvés.

Frère, abandonne le sceptre du devoir et renonce à ton absolu : il n'y a d'authenticité que dans le Mal. La recherche de la Vérité t'a isolé car les médiocres méprisent les messies et chérissent leurs chaînes ; ne vois-tu pas qu'en délivrant tes enseignements, tu t'exposes à la risée de tous ?

Par ailleurs, ce que tu nommes le « juste » est une notion que les dominants t'ont inculquée afin que tu serves leurs intérêts : en ce bas-monde, la justice n'est jamais que le triomphe de l'injustice ; lorsque tu crois agir bien, tu ne fais qu'obéir à tes oppresseurs. Tout élan moral puise ses sources dans des eaux malsaines et demeure voué à l'échec.

Maintenant que tu as compris l'inanité de tes idéaux, deviens comme le négatif photographique de celui que tu étais et métamorphose-toi en un monstre fourbe et sanguinaire ; les Hommes ne méritent pas la moindre lueur de compassion : manipule-les et sème la discorde ; saborde-les et baigne-toi dans leurs larmes ; verse le sang et enveloppe-toi dans un manteau de ténèbres !; sois délicieusement faux et malveillant : terrorise et console alternativement l'anxieux afin de l'asservir psychologiquement ; englue l'orgueilleux dans la gomme sucrée de tes flatteries ; excite la haine du lâche afin qu'il tue ses ennemis puis dénonce-le aux autorités ; qu'ils se perdent tous dans les labyrinthes tortueux de ta ruse et qu'ils tombent dans tes oubliettes !; que leur faiblesse soit ta force, que leur douleur soit ta jouissance et que leur malheur soit ta félicité !; provoque de grands incendies dans leurs cités et réfugie-toi dans des catacombes en écoutant leurs hurlements d'agonie !

Adossé à un mur d'ossements, abandonne-toi à tes rêveries noires et réjouis-toi de ta revanche ; n'éprouve aucun remord : les médiocres se sont laissés bercer par une civilisation inique sans protester et ont connu un agréable sommeil pendant que les vapeurs polaires de la pensée t’enfiévraient ; tu leur a dit qu'ils s'élançaient vers le désastre et ils ne t'ont pas écouté, tu as essayé de les élever moralement et spirituellement mais ils ont préféré leur imperfection confortable, tu leur a tendu ta main secourable et ils se sont moqués de toi : seule la voie du sang peut donc triompher de l'iniquité.

L'ère du porteur de lumière est révolue. Lucifer, deviens Satan !

Gabriel Noncris, Transfiguration crépusculaire




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les punchlines de Mix ô ma prose : le versant lumineux de l'absurde

PHILOSOPHIE - L'INTÉGRALE du PROGRAMME du BAC (Édition Finale)

De la nécessité du droit au suicide indolore pour vivre librement, sereinement et dignement